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Concilier besoin d’immédiateté et consommation responsable
27 avril 20221) Un consommateur intolérant à la frustration
Une tendance de consommation s’affirme : l’acheteur exige toujours plus en matière de produits et de services annexes, et ce dans des délais de plus en plus courts.
De leur côté, les vendeurs s’adaptent en élargissant leurs modalités de livraison. Du domicile de l’acheteur à son lieu de travail en passant par les points relais, il est désormais possible pour le client d’être livré exactement là où il le décide.
En proposant un éventail d’une diversité vertigineuse, Amazon illustre à la perfection cette mouvance : denrées alimentaires, biens Hi-Tech ou linge de maison, produits rares ou usuels, d’origine locale ou acheminés depuis l’autre hémisphère. Le tout pour des montants de transaction allant de quelques euros à plusieurs millions.
À ces considérations s’ajoute celle du délai d’acquisition : le consommateur doit pouvoir obtenir ses achats de plus en plus rapidement. A cet effet, des services comme Stuart ou des marchands tels que Cdiscount proposent des service de type « On Demand », offrant une livraison sur Paris en 30 minutes. Le Groupe La Poste met en place des services afin d’ « offrir à chaque e-acheteur la possibilité de récupérer rapidement son colis, où il veut, quand il veut ». Plus globalement, tandis que les délais d’acheminement se réduisent (J+2, le lendemain avant midi ou même dans la journée), les plages horaires ouvrées, elles, s’allongent pour proposer des livraisons de plus en plus tôt et tard, ou même en week-end.
De nombreuses enseignes s’équipent pour répondre au mieux à ces nouvelles injonctions en démultipliant les modes de livraison du « dernier kilomètre », en automatisant les entrepôts ou en promouvant la polyvalence et la multicanalité des surfaces commerciales traditionnelles. Ces nouveaux impératifs stimulent l’imagination des entreprises qui mettent en place tous les dispositifs nécessaires à la satisfaction du besoin client, souvent même, au détriment d’une meilleure rentabilité à court terme.
En effet, cette course, des industriels et des distributeurs, à la satisfaction immédiate du besoin, est indispensable pour maintenir ou faire progresser leur chiffre d’affaire et leurs parts de marché. Toutefois le volume global de consommation n’augmente pas ou peu… La valeur de la marchandise distribuée reste donc stable, alors qu’elle engendre des coûts logistiques considérablement plus élevés. Selon ces nouvelles règles, l’enjeu pour les entreprises est clair : la rentabilité globale étant nécessairement amoindrie, il faut maintenir suffisamment d’activité pour rester dans la course face à des concurrents toujours plus ingénieux. Tant que la vague du e-commerce les porte, l’impact reste limité, mais si la croissance venait à faiblir, la question de la marge deviendrait nécessairement plus pressente.
2)… à la recherche d’une éthique de consommation responsable et vertueuse
Ce besoin d’immédiateté s’accompagne d’une tendance parfois antagoniste : la prise de conscience des nouveaux enjeux planétaires. Cette dernière semble guider les acheteurs vers une transformation de leurs modes de consommation, de déplacement et même plus largement de leurs modes de vie. Cette tendance favorise les approvisionnements locaux et responsables, décotant, par là même, les emballages et produits à usage unique, les achats jugés superflus ou venant de l’autre bout du monde.
Si la question écologique joue évidemment une part déterminante dans cette dynamique, l’attention portée aux considérations éthiques et sociales – liées à la rémunération des producteurs dans l’agroalimentaire ou au travail des enfants dans l’industrie textile, par exemple -, influe largement sur ce processus.
Ce nouvel angle induit un glissement de comportement chez le consommateur : il cherchera dans cette logique à privilégier les produits disponibles à une échelle locale et limitant les (sur)emballages. S’en trouvent favorisées des initiatives telles que le commerce de vrac, les PFT (Produits Frais Traditionnels), le Do It Yourself, le marché de l’occasion payant (Leboncoin) ou gratuit (Greev), la location et le prêt. Ici, les circuits d’approvisionnement sont les plus courts possibles, les déchets réduits au maximum et la consommation limitée, peu ou prou, au strict nécessaire.
Une dualité très justement soulignée par Lydia Mykolenko, PhD géographe-économiste chargée des études sur la logistique à l’Institut Paris Région : « On ne veut plus de pollution ni de camions en ville, mais on exige son colis tout de suite. Cette schizophrénie nous concerne tous. Il faudrait que les gros consommateurs de colis connaissent l’impact de leur clic sur leur cadre de vie ».
Face à ces deux tendances qui semblent s’opposer – parfois chez un même consommateur ! -, industriels et distributeurs doivent se positionner en adaptant leur stratégie commerciale et marketing. Un choix cornélien si l’on considère qu’ils devraient, d’un côté se doter d’une supply chain de détail ultra-réactive, et de l’autre opter pour une logistique aussi courte, rationnelle et économe que possible.
Est-il alors raisonnable d’imaginer un monde où ces deux tendances coexistent indéfiniment, où l’une d’entre elle est-elle vouée à prendre l’ascendant et à imposer son mode de consommation ?
3) Nos convictions
Il reste difficile de déterminer l’échelle de la révolution qui s’amorce. Prestation de niche concernant l’hypercentre des métropoles ou transformation radicale des logiques régissant le « dernier kilomètre » ?
Il est tout aussi compliqué de deviner à quel horizon la bascule aura lieu, le cas échéant. Si cette généralisation de la « vertu » se produit à long terme (15 ou 20 ans), les entreprises gagneront à investir en parallèle dans des outils logistiques satisfaisant le besoin d’immédiateté de l’acheteur. A l’inverse, si l’on prédit une bascule plus rapide, il s’agirait d’un « coup d’épée dans l’eau », tant sur le plan économique qu’écologique. Deux facteurs essentiels permettront de figer cette temporalité :
– Le facteur humain, via la prise de conscience individuelle, plus ou moins rapide, des enjeux environnementaux et sociétaux à l’origine du désir de consommation responsable
– Le facteur politique, via la mise en place de règles restrictives sur l’importation, l’emballage ou la rémunération des plates-formes – règles impopulaires, voire même périlleuses en l’absence de coordination internationale (inexistante aujourd’hui sur le sujet).
La vitesse et le niveau de généralisation d’une consommation vertueuse sont donc à ce jour incertains.
Des initiatives telles que la coopérative cyclo-logistique Olvo témoignent d’une attention réelle portée aux valeurs de consommation éthique et responsable. Le prestataire, en plein essor, s’est associé à plusieurs restaurateurs parisiens boycottant les employeurs de livreurs précaires (Deliveroo, Uber Eats, Amazon Prime etc.) pour proposer une livraison payante (5 euros) assurant le salariat de leurs livreurs.
L’équipement en modes de livraison « douce », les flottes vertes (électriques ou au gaz naturel), l’optimisation des flux et des tournées et la réduction conséquente des emballages, au cours des dernières années, sont autant d’investissements en faveur d’une logistique plus verte, mais aussi plus réactive, preuve d’une possible réconciliation, au moins partielle, entre les deux besoins exprimés précédemment.