Tribune

Dark stores : solution d’avenir pour les enseignes traditionnelles ?

2 décembre 2022

15 minutes chrono

Cet essor des « livraisons sprint » a été permis par l’émergence des Dark Stores, également appelés dotcom centres, désormais implantés au cœur de la plupart des agglomérations françaises. Par dark stores comprenez : de larges entrepôts inaccessibles au public où s’amassent sur des rayons de supermarché, des milliers de produits de consommation courante destinés à la livraison rapide. Né au Royaume-Uni avec Sainsubury’s il y a une dizaine d’années, le concept s’est, depuis, popularisé à travers le globe et les métropoles ont vu ces « supermarchés sans clients » se multiplier lors de la pandémie de COVID-19. 

S’il reste encore un marché de niche à l’échelle de la France (122 millions d’euros en 2021, selon LSA sur 9Mds d’euros de ventes totales de courses alimentaires en ligne) et même au niveau mondial (8 milliards environ), le quick commerce a connu une très forte croissance ces dernières années (+80% en 2021, pour le marché français). Même si la fin du financement « illimité » de ces start-up a amené ces derniers mois à des vagues de concentration et à de vastes plans de licenciement, cette promesse des « 15 minutes » s’est imposée comme une nouvelle norme.

Un modèle qui s’affranchit des contraintes de la grande distribution…

Un assortiment soigneusement optimisé et un rayonnage disposé à la manière d’un entrepôt contribuent à fluidifier la logistique de ce modèle qui aspire à s’affranchir des contraintes habituelles de la grande distribution : les substitutions sont par exemple monnaie courante, en raison d’un assortiment large mais peu profond, permettant de couvrir le maximum de demandes sans surcharger le « magasin » ni alourdir le processus d’assemblage. L’accès aux marques se fait en direct sans passer par des centrales d’achat ou des grossistes intermédiaires, ce qui permet de rester relativement bien positionné sur les prix. 

Si les prix ne sont d’ailleurs pas nécessairement les plus compétitifs du marché (de -1% à +5% en comparaison aux points de vente voisins, implantés en centre-ville), les dark stores misent principalement sur une expérience client irréprochable : un parcours simple, optimisé par segments, qui garantit un service fluide et soigné. Le quick a deux atouts supplémentaires : un maillage fin sur territoire urbain – indispensable pour tenir la promesse des délais de livraison – et une communication radicalement différenciée, par rapport à la distribution traditionnelle : massive, souvent décalée et usant de canaux moins exploités par la grande distribution (mais prisés des consommateurs cibles) tels que les réseaux sociaux.

… et qui se voit soumis à d’autres enjeux pour rester pertinent. 

L’accélération de la croissance des dark stores au cours des deux dernières années a toutefois souligné les problématiques émergentes du secteur : 

  • Un business model qui n’a pas encore trouvé ses points d’équilibre : le panier moyen tourne autour des 20 euros, quand il devrait atteindre le double pour couvrir les frais d’implantation et de livraison. A court terme, la publicité vendue aux marques distribuées doit contribuer à rentabiliser l’activité, sur le modèle retail media d’Amazon.
  • Le caractère non-transposable du modèle à des régions moins densément peuplées restreint largement les perspectives de développement. 
  • Le modèle social de la livraison « uberisée » est sévèrement jugé et la nuisance liée aux implantations de ces commerces sans public est dans le viseur des collectivités locales et des parlementaires qui ont promis de bientôt légiférer.
  • Les stratégies en place ne permettent pas d’adresser certains segments cibles : l’assortiment réduit ne permet pas de satisfaire la clientèle plus exigeante, par exemple.
  • La prolifération de la concurrence sur un marché non rentable – boostée par des investissements colossaux issus d’acteurs aux profils variés – complexifie immanquablement le processus de différenciation. Tous semblent reproduire le même modèle, les tentatives de spécialisation ou de différenciation plus radicale n’ayant, à date, pas encore fait leurs preuves. 

De nouvelles opportunités pour les enseignes traditionnelles

Les enseignes traditionnelles semblent de plus en plus tentées de reproduire ce modèle en capitalisant sur leur réseau de distribution existant, ce qui pourrait leur permettre de rivaliser avec les pure players du quick commerce. Toutefois, la contrainte de rentabilité s’avère plus forte, la structure de coûts (siège, modèle social…) est plus élevée et le risque de cannibalisation peut freiner les ardeurs. Pourtant, face aux problématiques évoquées plus haut, les acteurs traditionnels pourraient trouver de nouvelles solutions hybrides et, au même titre que le drive a entraîné dans son sillage tout un lot d’innovations, le quick commerce pourrait permettre une réinvention de la LAD ou du click and collect urbain :

  • De nouveaux formats de magasins ouverts au public (et conçu pour le picking), au style cash and carry, mi-entrepôts, mi-supérettes sur un assortiment réduit, qui échapperaient aux nouvelles réglementations à venir ;
  • Une accélération sur les business de retail media ;
  • Un appui sur les forces des enseignes : programme de fidélité, MDD…
  • Un maillage existant qui permettrait d’étendre rapidement le service, comme ce fut le cas pour le drive accolé, il y a une dizaine d’années ;
  • Un coût d’acquisition à la première commande réduit grâce à leurs propres bases de clients, tandis que celui des pure players oscille entre 20 et 80 euros ;
  • Un positionnement prix plus compétitif et un service qui pourrait n’être offert qu’aux clients réguliers de l’enseigne physique pour éviter les commandes « les plus à perte » (petits paniers non récurrents) ;
  • Un reach de l’appli optimisé par le déploiement de super-app autour de l’enseigne et non de ce seul service…

Le quick commerce et ses pure players (Getir, Gorillas, Flink…) ont créé un nouveau standard sur le marché de la livraison à domicile (LAD). Leur promesse : une livraison en moins de 15 minutes, s’appuyant sur un assortiment de produits de première nécessité avoisinant les 2000 références (soit 5 fois moins qu’un drive, en moyenne), proposé à des prix équivalents à ceux de la distribution de proximité.  Face à cette nouvelle concurrence, Monoprix, Carrefour ou encore Casino devraient-ils s’inspirer de la promesse de la livraison (ou du click-&-collect) en 15 minutes-chrono ? 

Les enseignes traditionnelles semblent de plus en plus tentées de reproduire ce modèle en capitalisant sur leur réseau de distribution existant. Toutefois, la contrainte de rentabilité s’avère plus forte, la structure de coûts (siège, modèle social…) est plus élevée et le risque de cannibalisation peut freiner les ardeurs. Pourtant, les acteurs traditionnels pourraient trouver de nouvelles solutions hybrides et, au même titre que le drive a entraîné dans son sillage tout un lot d’innovations, le quick commerce pourrait permettre une réinvention de la LAD ou du click and collect urbain.

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