Tribune

La cosmétique peut-elle devenir responsable ?

27 avril 2022

Une nouvelle image

Dès début 2020, la marque Chanel déclarait publiquement que la transition écologique du marché luxe était en marche. Cette orientation ne semblait pour autant pas prioritaire au sein de tous les géants de la beauté luxe.

Solidement ancrée depuis des décennies dans une image de prestige quasi-patrimonial, la cosmétique de luxe s’est longtemps gardée de communiquer sur ses engagements environnementaux. Il y a quelques années, il était même question de « green hiding » : soucieuse de son image de marque, la beauté haut-de-gamme craignait de perdre en sex-appeal en valorisant une démarche responsable et durable et en montrant « l’arrière-boutique ».

Les moteurs de consommation actuels semblent toutefois inverser ce paradigme : par peur de passer à côté d’une tendance sociétale prégnante ou par souci authentique de l’environnement, les acteurs du secteur revendiquent désormais leurs engagements pour une cosmétique plus responsable. La Maison Guerlain, qui avait pourtant entamé ses démarches en ce sens dès 2007, publie depuis 2020 un rapport sur ses ambitions et ses réalisations en faveur de l’environnement et engage ainsi durablement la marque dans une stratégie RSE assumée. On peut désormais trouver sur leur plateforme Bee Respect le détail des engagements pris par la marque en matière de sourcing et d’éco-conception.

Il en va de même pour Dior, qui amorce un shift de sa gamme la plus emblématique « Capture Totale » en janvier 2020, avec l’objectif de lui donner une teinte green et clean, grâce, notamment, à des ingrédients naturels et éco-sourcés. Pas un hasard non plus si c’est Gisele Bündchen, mannequin brésilienne publiquement engagée pour la cause environnementale, qui est choisie pour incarner la marque cette année-là.

Des pratiques qui évoluent

Mais le virage au green des grandes marques de beauté luxe ne semble pas s’arrêter à une communication bien ficelée ou à de nouveaux visages. Les pratiques, elles aussi, ont manifestement évolué. 

Des packagings au potentiel de recyclage plus élevé 

Le recyclage du plastique – encore trop peu efficace – apparaissant comme le principal enjeu environnemental de la décennie, le luxe mise à long terme sur l’innovation. 

Les fabricants de contenants planchent à l’heure actuelle sur de nouveaux matériaux, comme le PDK (polydiketoenamine), un type de plastique qui, associé à une technologie inédite, permettrait le recyclage à l’infini des flacons de cosmétiques. La Maison Chanel a de son côté pris un pari en investissant chez Sulapac, une start-up finlandaise qui œuvre à un nouveau matériau sans micro-plastique et biodégradable. Guerlain, de son côté, se penche actuellement sur des contenants en mycelium, une matière issue du champignon, biodégradable et neutre en carbone. En attendant la généralisation de ces procédés innovants, les grandes marques travaillent en parallèle sur d’autres méthodes de réduction des déchets.

Chez Dior, on réduit de 30% de matière le pot de Capture Totale C.E.L.L. Energy, pour 40 tonnes de plastique en moins sur l’année. L’Oréal (maison mère de Lancôme et YSL Beauté) promet d’intégrer 50% de plastique recyclé à l’ensemble de ses packagings d’ici 2025. La Prairie, qui déclarait déjà en 2011 vouloir faire du « green business et non du green washing » a quant à elle décidé de se tourner vers un matériau plus noble et facilement recyclable : le verre. Pour ne pas être découragée par l’importante consommation d’eau générée par une telle entreprise, la marque a monté sa propre usine de traitement des eaux usées, alléguant rendre à la nature une eau plus propre qu’à l’arrivée. Guerlain et Chanel préfèrent eux aussi le verre au plastique, à condition de réduire le poids de leurs contenants : comptez moins 60% de matière pour les pots d’Orchidée Impériale de Guerlain, et un flacon au design épuré pour Gabrielle, le nouveau parfum féminin Chanel.

Une logique de durabilité et un sourcing responsable

Quitte à créer des contenants plus lourds et à alourdir l’empreinte carbone, la cosmétique luxe joue la carte de la durabilité : conserver les flacons et recharger ses produits doit permettre de minimiser leur impact écologique.

Le fameux pot de Capture Totale, en plus d’être allégé en matière, s’avère être aussi rechargeable. Et il n’est pas le seul : la collection My Way d’Armani, la ligne Ressource de Givenchy ou encore les rouges à lèvre Kure Bazaar proposent tous des contenants réutilisables « à l’infini ». Idem pour les capsules de soin de la gamme Absolue (Lancôme) ou les vaporisateurs Givenchy.

L’image plus verte, à laquelle contribuent ces packagings moins polluants, profite également des formules plus respectueuses de l’humain et de l’environnement, mises en avant par ces marques. Chez Chanel, un département entier est consacré à la préservation de la biodiversité et au soutien des populations locales via quatre laboratoires situés dans différentes régions du monde. La marque atteste avoir à cœur de promouvoir le savoir-faire et de garantir l’intégrité des communautés avec qui elle travaille. Clarins pousse la logique encore plus loin en finançant des fonds alloués à des projets d’intérêt communautaire (construction d’école, centres de santé, accès à l’eau etc.) et en soutenant les investissements « propres » des producteurs locaux.

La dialectique entre « responsable » et « désirable » qui a longtemps prévalu se pose aujourd’hui en d’autres termes. Il ne s’agit plus d’opposer la revendication, par les consommateurs, de nouvelles valeurs sociétales à respecter, et l’exigence d’une pureté esthétique pour « continuer à rêver ».

Dans le secteur du luxe, discours de vertu et réalisme ne semblent plus contrarier l’enchantement, à la faveur de la naissance d’une nouvelle esthétique. Le savoir-faire, le terroir, l’artisanat, l’industrie même, sont devenus « chics ». Il n’y a plus à cacher l’arrière-cuisine pour faire rêver. Montrer les champs, les laboratoires, les usines, n’est plus seulement gage de réassurance mais nourrit également plus que jamais le territoire de marque et même l’imaginaire qui lui est attaché.

A l’image de l’industrie de la mode, le secteur de la cosmétique haut-de-gamme entame sa mue en matière de RSE. Sensibilisés par des consommateurs soucieux de leur empreinte écologique mais aussi parfois contraints par les injonctions législatives, de plus en plus d’acteurs de la « beauté luxe » font évoluer leurs pratiques afin d’améliorer leur cote d’écoresponsabilité. 

Cette nouvelle esthétique offre un alignement de planètes inédit aux marques, qui peuvent donc développer une stratégie et une communication, qui allient vertu et désir, et nourrir leur territoire de marque par des éléments de stratégie industrielle. Cette vérité qui se matérialise dans un secteur qui joue habituellement, à l’extrême, la carte « aspirationnelle », peut être une source d’inspiration pour de nombreux secteurs : agroalimentaire, hôtellerie, habillement… « Industry is the new sexy »

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