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Retour d’expérience d’un acteur Best In Class : l’exemple de Picard
29 juin 2023Interview de Cathy COLLART GEIGER par Gabriel PROVOST
Gabriel Provost : Bonjour Cathy et merci d’avoir accepté cet échange ! Après une période Covid très difficile pour le commerce physique et l’émergence ou le développement de nouveaux usages consommateurs (click&collect, livraison de repas à domicile…), le magasin alimentaire a dû se réinventer. Quelle est selon vous la place du magasin dans le parcours multicanal ?
Cathy Collart Geiger : Fin 2020, nous avons annoncé le lancement du plan de transformation Proxima qui visait à relancer la croissance de l’enseigne. Celui-ci se déclinait sur quatre dimensions :
- Client : Comment mettre le client au cœur de la stratégie : comment mieux le connaitre, comment le reconnaitre, comment lui faire vivre une expérience satisfaisante ?
- Services : Comment s’inscrire dans le parcours d’achat du consommateur et lui proposer de nouveaux services pour lui faciliter les courses ?
- Conquête du territoire : l’éloignement est le premier frein à la fréquentation d’une enseigne alimentaire – la question est encore plus aigüe pour le surgelé avec la gestion du dernier maillon de la chaîne du froid par le client. Le maillage est donc essentiel pour développer sa pénétration, nous avons donc lancé un plan de conquête visant à l’ouverture de 200 nouveaux magasins en 5 ans (nous en avons déjà ouvert 100 à date) et opéré un recentrage du développement international sur le shop in shop ;
- Marque : au-delà de son capital sympathie (elle est redevenue la marque alimentaire spécialisée préférée des Français), comment la rendre indispensable dans la cuisine des consommateurs ?
Gabriel Provost : Constatez-vous déjà les premiers résultats économiques de ce plan ?
Après les vagues du Covid et le report exclusif des besoins alimentaires sur les magasins et le e-commerce (avec la disparition temporaire du hors domicile), il s’agissait pour nous de conserver l’élan. Pari remporté, nous constatons une croissance à +20% vs avant Covid, soit 2,2 millions de clients en plus.
Historiquement, depuis sa création en 1974, Picard proposait un maillage plutôt urbain, et sa livraison à domicile était articulée autour de ses entrepôts, pour une couverture de la population d’environ 25%. Pour étendre sa couverture et toucher d’autres consommateurs, alors que le e-commerce ne représentait que 1,8% de nos ventes, l’enseigne a créé de nouveaux canaux : LAD en France sur tout le territoire national avec Chronopost, livraison express avec Deliveroo, Click and Collect…
Pour continuer à développer notre couverture, nous avons souhaité renforcer la mixité entre modèle intégré et franchises. Au lancement du plan Proxima, Picard comprenait 10 magasins franchisés sur 1000 points de vente. L’enseigne en compte désormais 50 portés à la fois par des primoaccédants, mais aussi par quelques profils entrepreneurs possédant déjà un commerce (U, Intermarché), qui souhaitent renforcer leur zone d’attractivité via une enseigne complémentaire.
Gabriel Provost : Comment ces nouvelles orientations peuvent-elles se traduire en magasin ? Dans un magasin de proximité, contraint par la taille et visant à optimiser le temps passé, peut-on proposer de l’expérientiel ?
Picard fait gagner du temps grâce à ses petites surfaces et son parcours intuitif : le temps moyen passé en magasin n’excède pas 10 minutes. Avant mon arrivée, un concept de « marché éclaté » avait été testé en lieu et place du parcours « serpent » caractéristique de Picard. Mais ce concept créait des zones froides, oubliées par le consommateur.
Si les critères de gain de temps et de circulation intuitive, restent au cœur de notre stratégie e-commerce, nous voulons qu’il se passe quelque chose de plus dans le magasin, qu’on y trouve un supplément d’âme.
Notre nouveau concept renforce justement l’expérience client en s’appuyant sur les codes de la cuisine : un comptoir central avec un espace matérialisé pour le click and collect et de la dégustation. Un congélateur sous le comptoir évite les déplacements inutiles au salarié lors du retrait des commandes. Et certains jours, des dégustations sont proposées. Cette mixité praticité / expérience permet de « démoyenniser » le client et de traiter à la fois les attentes de celui qui vient pour un dépannage et de celui qui cherche à découvrir de nouveaux produits pour un repas de fête.
Notre nouveau concept est déployé dans 80 magasins à date après des premiers tests très probants.
Gabriel Provost : Le « Penser client » est au cœur de la stratégie de nombreux distributeurs qui se recentrent sur la qualité d’exécution, à l’image du programme 5/5/5 qui est mis en place chez Carrefour France par Rami Baitieh. Vous présentiez cette dimension « Client » comme le premier pilier de votre plan Proxima. Comment celle-ci s’illustre-t-elle ?
Tout part de la connaissance client et donc de la donnée. Nous avons ainsi créé un service data, pour différencier notre stratégie historiquement mass market qui n’agissait que sur la fréquence moyenne de venue.
Nous avons par exemple 30% des clients qui ne viennent qu’une à deux fois par an, à Noël. Et 30% qui viennent quant à eux plus de 25 fois par an. Les leviers d’activation de ces deux populations ne peuvent pas être les mêmes ! La donnée permet de structurer l’animation de tous nos profils clients :
CRM, newsletters personnalisées, cadeau d’anniversaire, nouveau programme de fidélité… Il s’agit de dépasser les promesses historiques (5% pour tout le monde sur certains produits) des offres ciblées et servicielles : système de points donnant lieu à des gratuités de produit et de services (cours de cuisine, dons à des associations…).
Ce volet d’activation doit être porté par les collaborateurs magasin impliqués, qui se font ambassadeurs de ces programmes. Plus largement, nous veillons à ce que les équipes restent toujours très axées clients : embauche sur la base des soft skills (aidée par la plate-forme Goshaba), puis formation sur ces dimensions, soirée « PAP » qui récompense les 60 meilleurs magasins sur des modèles de client mystère…
Si dans la culture Picard, promo, prix et assortiment restent très centralisés, l’expérience dépend exclusivement du point de vente. Nos salariés ne sont pas considérés comme de simples « gestionnaires de bac » mais comme de véritables conseillers de vente. Nous proposons une cuisine à destination des salariés pour leur permettre de goûter les produits pour savoir en parler.
Gabriel Provost : En GSA traditionnelle, les enseignes qui surperforment sur la marque propre en France (LIDL) ou à l’international (Migros en Suisse) proposent paradoxalement des gammes relativement courtes et un nombre de références réduit. Picard vend des produits à son nom et est contrainte par sa faible surface : comment sont gérés les arbitrages d’assortiment ? L’inflation des derniers mois a-t-elle changé la donne ?
L’enseigne a cherché à limiter au maximum l’inflation pour les consommateurs avec une hausse de l’ordre de 15% vs 22% pour le marché des surgelés en France. Avec le pari que les consommateurs s’en apercevront. Nous continuons à proposer des plats cuisinés, bons et sains, à 2,50€. Nous présentons 300 produits à moins de 3 euros.
Nous n’avons jamais eu de stratégie « Premier Prix », ni de panier à prix bloqué. Nous avons toujours creusé notre propre sillon en privilégiant la pédagogie autour d’un axe anti-gaspillage (produits portionnables, communication, DLUO à 2 ans…). Sur nos produits, on ne mesure qu’1% de gâchis contre plus de 20% sur le frais.
Pour limiter l’impact des hausses de coûts de matières premières, plus de 500 recettes ont été revisitées en toute transparence : dinde de fin d’année farcie avec une recette aux champignons au lieu du foie gras, plats à base de truite fumée en lieu et place du saumon… Nous sortons 250 innovations par an sur un assortiment permanent de 1300 références, un volume nécessaire pour rester une alternative aux restaurants et une invitation au voyage culinaire.
Cette stratégie paye : pour la première fois, l’attribut « Qualité Prix » ressort dans les enquêtes d’image sur l’enseigne Picard, qui avait historiquement une perception d’offre haut-de-gamme de centre-ville.
Gabriel Provost : Dans cette politique d’assortiment, quelles sont les fonctions des nouveaux rayons (vin et non-alimentaire) et des opérations thématiques événementielles (Asie, USA, Italie…) ?
Les petites opérations thématiques durent 2 à 3 semaine et visent à créer une raison de venue. La proposition de produits spots et la communication adhoc permet de travailler la fréquence de visite par l’événement. Ce sont par ailleurs des opérations très recruteuses, sur des cibles périphériques, qui sont stratégiques pour nous. L’opération Asie traitée sous forme de manga et Hello America ont été les deux opérations les plus recruteuses, notamment auprès des jeunes. Certaines références, fortes de leur succès, finissent par entrer en fond de rayon et contribuent à la stratégie d’innovation produit de l’enseigne.
Pour ce qui est des catégories « hors surgelés », nous avions la volonté de renforcer l’épicerie et de repenser le vin, pour lequel nos collaborateurs n’étaient pas réellement formés. Si nous n’avons pas la compétence, trouvons meilleur que nous. Notre partenariat avec le Petit Ballon nous a apporté une réelle expertise et ce Pure Player était intéressé pour intégrer des magasins physiques. C’est désormais un œnologue de métier qui référence les vins et nous constatons un différentiel de plus de 30 points sur le rayon grâce à ce partenariat et aux histoires qu’il nous permet de raconter : vin exclusivement chez Picard, traçablité, conseil, différenciation…
Sur le non-alimentaire, nous ciblons des produits périphériques malins : huche à pain, tire-bouchon… Ce rayon travaille subtilement le cross-merchandising le plus évident (cuillère à glace là où on vend des glaces..) avec une logique de contenu et de contenant. Nous assumons que les ventes témoignent de plus ou moins de réussite, nous sommes dans une logique de test and learn. Et globalement, c’est une tactique pertinente quand on ne peut pas se prévaloir du « tout sous le même toit ». L’idée est de rester dans la cuisine avec les codes Picard, ces produits portant le logo de notre marque. Ces points de rappel permettent une présence à l’esprit et développe notre Top of mind. Nous avons déjà progressé sur cet item, sur lequel nous étions historiquement faibles au regard de notre notoriété.
Gabriel Provost : La marque Picard est à la fois une marque enseigne, une marque-produit, et une marque employeur, qui doit adresser autant de publics (franchisés, visiteurs, clients…). La communication autour des valeurs a été renforcée ces deux dernières années, notamment en magasin. Est-ce devenu un impératif ? Peut-on à la fois répondre aux exigences du consommateur (praticité, prix…) et à ses injonctions sociétales ?
La marque Picard n’était au départ qu’une marque produit, très forte, mais très produit. Une marque doit se travailler sur toutes les dimensions. La marques enseignes a été retravaillée avec toutes les équipes dans une démarche qui s’est avérée très fédératrice. La raison d’être a été définie avec tous les collaborateurs, les valeurs ont été redéfinies et retranscrites (l’inclusivité se traduit dans notre expression « bienvenue »). La plate-forme de marque a été retravaillée et on voit désormais des gens et pas seulement des produits dans la communication.
La marque employeur a, en parallèle, été retravaillée avec la DRH : accord handicap, plan de développement des soft skills, programme d’alternants, accords seniors, parcours managers, lisibilité politique salariale, accords d’intéressement… Ce travail a permis d’avancer sur notre Projet RSE et d’y adjoindre un volet environnemental : éco conception, réduction de 10% des emballages plastiques en deux ans, politique de recyclage, accord Frêt 21, baisse de la consommation d’énergie dans nos magasins…
Nous cherchons à rester les plus authentiques et les plus transparents possibles. Nous ne sommes pas parfaits, mais ce n’est pas grave, nous continuons d’avancer ! Nous voyons que cette communication a un impact en termes d’image d’accessibilité, surtout auprès des jeunes. Selon les verbatims des tables rondes que nous organisions, l’enseigne pouvait autrefois souffrir d’une image très parisienne, limite « snobinarde » qui faisait qu’on pouvait hésiter à la fréquenter ou ne pas s’y sentir à l’aise. Depuis le recentrage sur des valeurs du quotidien, autour de la cuisine et de l’inclusion, la hausse de pénétration et de fréquence, indiquent que notre image s’est considérablement amendée sur ces sujets. On se sent désormais à l’aise chez nous !
Gabriel Provost : Merci Cathy, pour cet échange à bâtons rompus et pour ces retours d’expérience particulièrement riches !